mardi 10 février 2015

De la rigueur morale chiraquienne vis à vis du FN et de son application

J'entends ici où là évoquer le fait que Alain Juppé, qui a déclaré que dans la législative du Doubs il voterait pour le candidat du PS contre celui du front National, aurait gardé la ligne rouge établie par Jacques Chirac vis à vis des alliances avec le Front National. Je ne voudrais pas minorer les immenses mérites présents de Alain Juppé voire son courage de préférer  voter pour un candidat républicain que pour une candidate prônant l'inégalité des races. Mais il me semble que l'inflexible rigueur morale affichée par les chiraquiens vis à vis de l'extrème droite eut, à l'usage, quelques accomodements. 
Je me permets de rappeler quelques faits. Ils sont têtus.


Nous sommes en 1983. Les municipales sont pour la Gauche un assez lourde défaite. Beaucoup de ses grandes figures sont défaits dans de grandes villes par la droite, ainsi hubert Dubedout à Grenoble par un certain Alain Carignon. Mais à Dreux en plus de voir une défaite de la socialiste Françoise Gaspard par la droite le conseil municipal voit entrer des élus du FN grâce à une alliance avec la droite. C'est la première fois je crois depuis Poujade que l'extrème-droite rentre en tant que tel dans un conseil municipal.  Interrogé sur le sujet Jacques Chirac, président du RPR déclare que ceci ne lui parait pas plus grave que l'entrée de ministres communistes dans le gouvernement de la République en 1981. Cette mise en parallèle du Front National, parti raciste, antisémite et xénophobe et du Parti communiste, parti républicain, servira d'argumentaire à la droite durant les 30 dernières années.

Nous sommes en 1986. Les élections régionales ont lieu.  Dans la région PACA Jean Claude Gaudin choisit de faire avec le Front National un accord qu'il qualifiera de, je cherche le mot excusez moi, ah si ca me reviens " technique" c'est celui que Filoche utilise pour l'accord passé entre Syriza et une formation d'extrème-droite. Je suis encore à la recherche des condamnations morales de Jacques Chirac sur ce sujet. Dans la région Ile de France Michel Giraud RPR fait lui aussi un accord avec le FN. Pour marquer l'étendue de sa réprobation, Chirac le garde comme ministre de la Défense dans son gouvernement.
1988 A l'entre deux tours de l'élection présidentielle M Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, grande figure du RPR déclare dans la presse que " sur l'essentiel le FN se réclame de valeurs communes à celle du RPR ". Si Chirac déclara sans doute combien tout ceci le révulsait,  il ne lui vient pas plus à l'idée de décider d'exclure que tout  simplement de priver Charles Pasqua de toute fonction au sein du RPR. La distraction sans doute.

1990 la droite tente de se remettre de sa défaite à la présidentielle en investissant le terrain de l'immigration. Des états généraux réunissant ce que la droite a de plus brillant, donc Alain Juppé,  proposent de réserver " certaines prestations sociales aux seuls français". Ceci vous rappelle furieusement la "préférence nationale" mesure phare du FN ? Vous êtes taquins.

1995 Alain Juppé devenu Président du RPR néglige cette petite bourgade dans laquelle un ancien membre du FN , qui n'en a rien  renié et rien oublié, a reçu le label RPR. Il ne s'agit que d'un certain Jacques Peyrat vieux camarade de Jean-marie Le Pen qui deviendra donc Maire de Nice. 

1998 5  présidents de région de droite  (Millon, Harang, Bauer, Blanc, Soisson) décident de pactiser avec le FN à l'issue de l'élection. Chirac marque publiquement sa désapprobation totale de cette compromission. RPR comme UDF tiennent la barre. Seul Alain Madelin s'affiche ouvert à l'expérience et fonde alors Démocratie Libérale, avec un certain Jean-pierre Raffarin. Certes.



2002 Chirac se retrouve face à Jean-marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Alain Juppé chapeaute l'UMP naissante. Pendant que dans les rues, dans les journeaux quantité de citoyens en appellent au Front Républicain les états majors de la droite anticipent sur la campagne des législatives. Un meeting se tient à Lyon avec Jacques Chirac juste avant le second tour. Il rassemble toute la droite, dont Charles Millon, qui obtiendra un poste d'ambassadeur au FAO, Soisson,, Blanc. La convivalité.

A l'issue de l'élection Chirac choisit comme Premier Ministre Jean Pierre Raffarin, venue de Démocratie Libérale et qui accorda quelques années auparavant une interview à Minute. Ne soyons pas bégueule.

Cette série chronologique n'est certes pas exhaustive. Elle tendrait malgré tout à prouver que Sarkozy n'eut pas tant d'effort pour camper ensuite sur la ligne Buisson en 2007. 

Je m'en voudrais pour conclure de ne pas avoir une pensée affectueuse pour ce militant PS qui se serait lui aussi égaré sur ce blog. Je te vois bien camarade fourbir ton argumentaire contre le potentiel candidat de la droite en 2017.  C'est de bonne guerre. Je t'invite pourtant à aller plus loin. J'ai souvenir, pour avoir fait partie de la boutique, de ces temps où nous proclamions que la droite est notre adversaire et le FN notre ennemi. Ceci est bel et bon. Mais un peu court en somme. La carte du PS sert pour certains en matière de lutte anti-raciste d'alibi à bien des dérives. Lorsqu'un ministre de l'intérieur déclare que les Rroms ne veulent pas s'intégrer et qu'ils ont vocation à retourner en roumanie, ceci devrait susciter la condamnation de tout républicain conséquent. Nous gagnerions peut être tous à ne pas pratiquer la vigilance seulement vis des autres mais aussi à l'exercer envers nous-mêmes. Faute de quoi ces déclarations solennelles faites par les hiérarques du PS que nous ne lâcherions rien face au FN semble signifier (ceci n'engageant bien entendu que moi) qu'ils ne lâcherons rien des postes et des fonctions. Quand aux idées, la belle affaire.


samedi 7 février 2015

De la répartition des postes dans un atelier

Je suis ouvrier depuis plus de 10 ans maintenant. Je bosse dans l'atelier de découpe et conditionnement d'un abattoir de volailles. Cela représente de 60 à 70 ouvriers, selon la période de l'année. J'ai déjàcommencé laborieusement à décrire mon métier dans quelques récits fictionnés. Mais il y a un point, parmi tant d'autres, que je n'ai jamais encore pu aborder. Le fait que la répartition des postes dans l'atelier soit lié au genre.

La toute première fois que j'ai prêté attention à ce point c'était en découvrant la feuille donnant la liste d'une équipe pour un Samedi. Dans l'agro-alimentaire les jours fériés sont bien souvent "rattrapés" le samedi suivant ou précédent. La liste des samedis travaillés est établi dès le mois de janvier par la direction, normalement après consultation des élus du CE. Le plus souvent il n'y a pas assez de travail pour faire travailler tout l'atelier. Les chefs d'atelier font donc tourner l'effectif pour que chacun ne travaille qu'une fois sur 2. Le mercredi ou le jeudi précédent un samedi figurait sur  le bureau des chefs d'atelier une liste des gagnants. A la fin de la liste figurait en toute lettre "1H/ 1F". Il manquait deux personnes sur la liste qui devrait donc être complété en appelant des intérimaires. Sachant à quel poste cela correspondait, le chef d'atelier avait spécifié le genre recherché.

Dans notre atelier il y a une majorité de postes qui sont attribués en fonction du genre. Les postes considérés comme physiques ( tel que l'accrochage des poulets morts sur la chaine de découpe, déplacer des palettes, soulever des bacs...) sont attribués exclusivement à des hommes. Les postes considérés comme réclamant de la dextérité, de la méthode sont attribués à des femmes. 

Ceci pourrait apparaitre comme un simple partage tacite. Il n'apparait d'ailleurs bien sûr dans aucun document écrit.  Les quelques occasions où j'ai pu évoquer ce fait avec des collègues, voire avec des élus du personnel, j'ai eu plus ou moins droit à des moues interloqués de personnes surprises que je puisse m'arrêter à de tels détails.

Cette répartition a pourtant des conséquences concrètes qui ne sont nullement anodines. Dans mon atelier, pour 5 postes de conducteurs de lignes, il n'y en a jamais eu qu'un seul qui soit occupé par une femme. Une de mes collègues déplorait un jour le fait qu'elle avait demandé à la chef d'atelier si elle pourrait passer conductrice de ligne sur la Ligne Cello. Celle ci lui a répondu que malheureusement ceci ne serait pas possible parce que cela impliquait le port de charges, c'est à dire de bacs de poulets. Les deux avaient pris ceci comme un état de fait. 
Les postes de conducteurs de lignes peuvent donc être occupés aussi bien par des titulaires que par des CDD ou des intérimaires, du moment que ce soit des hommes. Pourtant le port de charges lourdes chaque jour sur une longue durée entraîne aussi bien pour les hommes que pour les femmes de graves problème de dos ( scoliose, lumbago...). La répartition H/F semble avoir relégué cette question de la pénibilité des postes, il n'y a pas tant besoin de rendre un poste moins pénible que d'avoir un homme pour l'occuper. De ce fait les hommes auront la priorité sur les problèmes de dos tandis que celles ci auront des problèmes de canal carpien. Chacun sa douleur.

       Par contre une femme se retrouvera beaucoup plus souvent sur un poste à la chaîne. Cela signifie qu'elle ne peut normalement se déplacer. Lorsqu'un salarié à la chaîne veut quitter son poste pour aller aux toilettes, il doit se faire remplacer. Chaque matin et chaque après midi  le conducteur de ligne va donc demander à une ouvrière sur une autre ligne de bien vouloir remplacer une par une les ouvrières de son unité de production durant quelques minutes pour qu'elle puisse aller pisser. Au contraire plusieurs des postes occupés par des hommes ( conducteurs de lignes, chargé de vider les frigos...) n'étant pas directement sur la chaine, ceci leur donne une marge de manoeuvre pour se déplacer et choisir à quel moment aller aux toilettes. Il faut n'avoir jamais travaillé à la chaîne pour ne pas saisir à quel point ceci est appréciable. 

           Il y a quelques années la direction avait réfléchi à une série de modification dans l'organisation des ateliers. Il se trouve que certains ateliers se retrouvent parfois en sous activité pour tel ou tel raison (manque de produit, manque de commandes). La direction prévoyait d'opérer des formes de rotations d'un atelier vers un autre pour éviter que des heures soient perdues. Je vous passe les détails, d'autant que je m'en souviens très peu. Lorsqu'un cadre est venu présenter la nouvelle organisation à notre atelier ce sont les femmes qui ont porté la critique et qui ont débrayé dès le lendemain. Les hommes, dont j'étais, avaient gardé une forme de réserve devant ce projet dont nous ne distinguions pas les implications.


Il y a quelques jours je discutais avec des amies d'initiatives ( salons ou autres) qui existent spécifiquement en faveur des filles pour les encourager à accéder aux carrières scientifiques. Il y a souvent des hommes pour s'interroger sur la nécessité de tels initiatives. Ma modeste expérience me conduit à penser que laisser faire l'ordre naturel des choses aboutit à des résultats précis.