mercredi 11 juin 2014

Démontage de God'Art

Cher Jean Luc,

J'ai appris ce soir la déclaration un peu confuse que tu as livré au Journal Le Monde selon laquelle tu te réjouissais plutôt que le FN soit arrivé en tête des dernières élections européennes et que tu recommandais même à François Hollande de nommer Mme Le Pen à Matignon.  Je pourrais te faire remarquer que tu es bien suisse pour croire que d'aller à Matignon passe par la route de Strasbourg mais je t'avoue que tout ceci me peine, infiniment et que çà me fait même un peu dégueulasse. 

Je suis un tout petit peu cinéphile. C'est à dire que des fois je vois des films et que çà m'en rappelle d'autres et que çà prépare les prochains que je vais voir. Pourtant je n'ai même pas vu tous tes films, alors que de Tarantino à Carax en passant par tant d'autres faut bien reconnaitre que tu as déjà laissé une belle trace parmi les professionnels de la profession.  Pourtant ce manque c'est plutôt quelque chose qui me réjouit. Me dire qu'il me reste plein de Godard à voir. Voir sauve qui peut la vie. Voir La Passion. Voir soigne ta droite. Etc...

Et puis aussi il y a certains de tes films dont j'ai entendu parler à travers des anecdotes et c'est comme s'ils existaient déjà. Je crois que tu en parlais dans tes interviews qu'à ton époque de fils des musées et de la cinémathèque beaucoup de films n'existaient qu'à l'état de légende. Combien avaient vu La nuit du Chasseur ou tant d'autres ?  Ben même à notre époque d'enfants des vidéo clubs et des Internets on n'a pas forcément tout vu.
Il y a un film que tu as tourné avec Alain Delon, Nouvelle vague. Pour son côte parfumeur suisse à l'époque je suppose. Un pote m'avait raconté que durant le tournage Le Delon avait refusé mordicus de monter dans un tacot parce que le standing vous comprenez. Tu ne t'étais pas démonté me racontait mon pote et avait fait monter un âne dans le tacot. Un âne à la place de Alain Delon. Je ne sais même pas si l'anecdote est vrai. Peut être que non. Parfois nos potes nous racontent des conneries. Ce sont des potes. Mais pendant des années en revoyant Delon je repensais à cet âne. Maintenant je me rends compte que tu viens de suivre cet âne toi aussi. Ca fait peine et ca me fait même un peu dégueulasse.

Tu vois là j'ai un peu regardé ta fiche Wikipédia pour essayer de comprendre. Ca raconte que jeune homme t'avais un peu le goût du vol, voler ta famille, tes proches, tes patrons. Et j'aime bien cette idée que ton cinéma ait consisté à aller dérober dans la littérature, le cinéma des autres, la peinture, des formules, des idées, des concepts, les malaxer, les triturer, les remonter à ta manière et nous les offrir.  Pour nous offrir l'époque et un cinéma qui ne parle pas que des coucheries mais aussi du fait que comme c'est dit dans  Forever Mozart  " la guerre c'est faire entrer des morceaux de fer dans des morceaux de chair ".  C'est pas trop mal qu'il y ait un cinéma pour ca. Pendant qu'il est trop tard comme dirait Carax.

Je me souviens aussi de cette belle scène que tu nous avait offerte aux Césars en 1997. A l'époque de jeunes cinéastes Desplechin, Ferran et tant d'autres avaient lancés une pétition contre un projet de loi de Debré pénalisant les personnes offrant l'hospitalité à des étrangers. Tu avais expliqué simplement que ces cinéastes avaient fait du montage en rapprochant ce projet et un texte du régime de Vichy et que c'était l'honneur du cinéma de rapprocher les faits pour interroger les spectateurs. Il s'était passé un truc de l'ordre de la transmission et de l'adoubement. Tous ces mots que tu disais ca inspirait plein de sentiments, comme dirait Anna Karina.

Parce que le cinéma disait un de tes personnages dans le petit soldat  " c'est la vérité vingt quatre fois par seconde ". Ben elle est belle ta vérité de faire mine de croire que soutenir une leader d'extrême droite ca va jouer un joli bordel et que ce sera rigolo.Il est où le Godard qui envoyait des missives assassines à Malraux lorsque le film la Religieuse était censuré quand tu feins de t'acocquiner avec des gens pour qui rien que les résumés  de tes films, Le petit soldat, Socialisme....inspirent où le malaise où la frayeur ? Tu imagine sérieusement pour ton dernier film Adieu au langage que les files d'attente soient composés de gens qui discutent entre eux du fait que les métèques ca commence à bien faire parce que ta déclaration les aura attiré ? Tes films valent mieux que çà Jean Luc que des gens qui reprendront peut être le métro en écrivant mort aux juifs, avec ou sans fautes d'orthographe.


Je crois que dans l'affaire il faudrait que ce soit Agnès Varda qui t'envoie une lettre, peut être qu'elle le fait déjà, pour te dire ce que te disait Truffaut il y a quelques années de cela parce que tu avais bien bien déconné et qui devais commencer par un truc du genre " Jean Luc laisse moi te dire que tu es un salaud ". Parce que sur ce coup là Jean Luc ce que tu nous as fait c'est bien bien dégueulasse.