dimanche 19 mai 2013

S'il n'y avait pas tous ces arbres


  (    Edit : Cet article est paru précédemment en Juin 2012 sur un autre blog. Il se trouve que j'y suis attaché pour d'assez naïfs motifs d'ego mais aussi que c'est une tentative, dérisoire et ridicule de rendre hommage aux 147 salariés de l'usine Doux de Pleucadeuc  qui se sont eux aussi retrouvés à la chôme. 

Relisant cet article et repensant à cet époque je me rends aussi compte combien Mme 
Iacub ne comprend pas ce dont elle parle.
 Le suicide n'est que la partie émergé de cette bataille qui se perd.

Postulons, postillons

Combien d'ouvriers somatisent, développent des ulcères ou d'autres problèmes de santé parce qu'ils sont sommés de " prendre sur eux" et s'exécutent (!) . Ceci ne rentre que bien peu dans les statistiques. Sauf quand il faut les accuser de creuser le trou de la sécurité sociale. Pour les quelques fois que j'ai pu apercevoir Mr Charles Doux à la télévision il semble porter beau )




       S’il n’y avait ces arbres je pourrais sans doute apercevoir l’usine Doux de chez moi.  Elle n’a semble t-il pas tellement changé depuis  que la direction du Groupe a décidé en 2008 de la fermer, mettant 451 salariés au chômage. Par une suite d’heureux hasards, une succession de circonstances, j’ai échappé à ce plan social. Pour autant j’ai eu l’occasion de travailler dans cette usine. C’est en partie là que j’ai découvert monde du travail et délices du salariat


La première fois que j’ai travaillé dans cette usine j’étais encore étudiant et ce ne devait être qu’un job d’été. Le pays de Locminé offre assez peu d’opportunités en la matière.


Quel effet cela m’a-t-il fait de passer devant mon ancien collège qui lui fait face ? J’ai croisé parfois certains de mes anciens camarades d’école au travail. Penser qu’il avait fallu seulement quelques années pour traverser la rue, certaines vies semblent setenir sur peu d'espace. Quand nous étions au collège la mode fut un moment de prendre l’usine comme un raccourci pour rentrer chez nous de la traverser en bicyclette en zigzaguant entre les poids lourds  dont les chauffeurs pilaient pour nous éviter. Ceci nous passa bien vite.





J’ai donc consciencieusement complété mon formulaire, remplissant mon état civil, sans doute légèrement amusé de devoir dire à 19 ans que j’étais bien célibataire, cochant distraitement la case précisant que je n’avais aucun membre de ma famille parmi le personnel de l’entreprise  ( ce qui à bien y réfléchir ressemble à de la discrimination ), niveau d’étude, le bac, disponibilités durant les 3 mois d’été et coordonnées qui étaient encore celles de mes parents.





A l’époque Doux pratiquait les contrats à la semaine ( Considérant qu’un CDD peut durer jusqu’à 18 mois, limite légal au-delà duquel il devient automatiquement un CDI  cela représente alors 78 feuillets 21/ 29,7 ) comprenant durée du contrat, nom de la convention collective correspondante et si j’ai bonne mémoire l’existence d’une période d’essai, que l’on signait en double exemplaire le lundi et dont on glissait le nôtre dans la poche arrière du jean. Un collègue me déclara qu’il avait assez de tous ces contrats pour tapisser tout son logement, mais il est vrai que son salaire ne lui permettait pas de se payer autre chose qu’un studio.  Mais il n'y a somme toute que banquiers, assureurs et propriétaires à distinguer entre CDD et CDI.


Pour autant Doux finit plus ou moins par abandonner en partie ces pratiques pour se tourner vers les agences d’intérims. Sur Locminé, ville de 3 800 habitants, chef lieu d’un canton de près de 11 000 habitants si je ne me trompe, nous en avons compté jusqu’à 5, dont l’une quasi exclusivement orienté sur l’agro-alimentaire.  Elle nous faisait remplir des tests de sécurité tenant du jeu du 7 erreurs où il fallait repérer tel ouvrier qui passait sous une échelle, tel autre qui jouait, oh le vilain, sur la pale de son transpalette électrique. A y penser l’erreur la plus flagrante sur ces dessins consistait en ces sourires enjoués de consommateur de bedeau.  Il ne nous reste plus que  4 de ces agences. C’est une perte dont je suis encore inconsolable.





Dans l’atelier j’ai travaillé le plus longtemps au bridage des dindes. Celles-ci ayant été au préalable tuées par électro narcose, dépouillées de leurs plumes, éventrées, vidées, décapitées et amputées des pattes. Il ne nous restait plus qu’à saisir le corps du volatile encore chaud et pouvant peser de 4 à 8 kgs, plier l’extrémité des pattes d’un geste sec en sentant les os craquer pour les passer sous la bande de peau dans son postérieur et bloquer le tout en glissant dessous le croupion. Tout ceci en à peine quelques minutes, 8 heures par jour du lundi au vendredi. Par jour ce devait être plus ou moins 30 000 dindes qui passaient entre nos mains.  Ce n’était pas l ouvrage le plus pénible ni le plus difficile parmi ceux proposés (!). J’ai eu l’occasion de me retrouver à l’accrochage des dindes vivantes. Celles-ci arrivaient dans des camions  contenus à plusieurs dans de petites cagettes. Les camions s’arrêtaient dans un hangar. Nous ouvrions les cagettes pour saisir les dindes. Celle-ci ayant voyagées quelques kilomètres dans un espace clos avaient libérées leurs humeurs.  Les sortir de la cage nous offrait un mélange de fiente et de plume en plus d’un bruit continuel. Mais même ce poste n’était que peu de chose face à celui de ramasseur. Ceux-ci devaient se rendre la nuit d’un poulailler à l’autre pour entasser les dindes dans ces cagettes ( étant entendu que le temps de trajet n’est le plus souvent pas compris dans le temps de travail ).


 


Au boulot je me suis dans l’ensemble plutôt bien entendu avec mes collègues.  Il y avait quelques autres CDD dans l’atelier. Certains avaient déjà eu l’occasion de travailler dans les autres entreprises du secteur, ou bien avaient eu des CDD durant jusqu’à 7 ans dans la même boite. Ils comparaient avantages et inconvénients de chaque entreprise du secteur.  C’est ainsi que j’ai appris que Doux était la seule où le self faisait payer l’eau qui n’était disponible que sous forme de bouteille. Le self était géré par la CGT. La branche agroalimentaire de la CGT fait partie de l’opposition à Bernard Thibault, considéré comme trop conciliant vis-à-vis du patronat. La pingrerie devait leur sembler une des voies de la lutte des classes.


J’ai ainsi effectué quelques contrats en tant qu’étudiant. Ces études ne donnant pas les résultats escomptés, ou pour le dire autrement n’y donnant pas les efforts supplémentaires je me suis retrouvé de nouveau à travailler à Doux tout en espérant passer un concours administratif catégorie B ou C.  L’usine était déjà dans la ligne de mire de cabinet d’audit. Pourtant elle avait célébrée son ouverture vers le Brésil qui paraissait pleine de perspectives prospères.  Elle faisait aussi partie des entreprises qui recevait le plus de l Union Européenne au titre de la PAC pour les primes de restitution ( Le Canard Enchainé a chiffré au total à 1 milliards d’euros le montant reçu par Doux de l’UE ). Cette astucieuse mesure permettait aux industriels de l'agro alimentaire de faire compenser par l'Union Européenne le différentiel entre le prix du marché international et leur prix de revient pour favoriser les exportations à l'étranger.





J’ai fini par trouver en 2008, grâce aux départs en retraites, un poste en CDI à Ronsard à Bignan, autre entreprise d’agro alimentaire.  Nous évoquions de temps en temps les autres entreprises du secteur, dont Doux qui n’embauchait plus tant de CDD. Mais la crise de l’agro alimentaire touchait toutes les entreprises. La nouvelle de la fermeture de l’usine de Locminé m'arriva comme à chacun, par la presse au mois de Juin 2008.

Quelques mobilisations sporadiques eurent lieu. Une manifestation se déroula en septembre dans les rues de Locminé à l'appel de la CGT.  Le député UMP local répliqua dans la Gazette de Locminé du 20 Septembre 2008 à ceux qui avaient critiqués son inaction passée en les qualifiant de "fossoyeurs d'entreprises".  L'activité parlementaire de Mr Gérard Lorgeoux durant ses 10 ans de mandat  m'ont fait mesurer combien il y a de nuances entre le rien et le pas grand chose. La fermeture du site fut avancée de quelques semaines, mesure annoncées aux salariés parfois par un simple coup de téléphone informant de ne pas venir le lendemain. Ce fut une belle preuve de délicatesse de la part du Groupe de ne pas troubler les salariés accoutumés à sa brutalité par une délicatesse soudaine
.







Le site est encore là. Le logo de Doux et de père Dodu a été enlevé.  Un vigile monte encore la garde contre les rôdeurs, à moins que ce ne soit contre d'éventuels repreneurs. Certains salariés ont été repris chez Ronsard. Les choses n'y sont pas si différentes.  .  Le travail à la chaîne, fastidieux, usant, cette sorte de poussière de rouille qui vient se déposer sur votre corps, les Troubles Musculo Squelettiques. L'autre jour une collègue demanda à la cantonade en salle de pause qui avait du doliprane, trois mains secourables se tendirent. Chacun tente ainsi plus où moins de s'arranger avec la douleur, la fatigue, le stress. Les salariés sont en majorité des femmes, pour la plupart de plus de 40 ans payés le plus souvent au SMIC plus les primes d'anciennetés jusqu'à 15 ans voire d'autres primes ( nuit, chaine, froid.... )


Charles Doux d'après ce que j'ai pu en lire, s'est retrouvé ces derniers mois dans cette situation pénible de ne pas pouvoir décider du destin de son groupe par lui même. Je voudrais lui dire combien les salariés de son groupe comprennent fort bien ce sentiment, celui que l'avenir appartient aux patrons dont les ouvriers se lèvent de bon matin ( tout en sentant à chaque fois qu'ils se couchent ). Il est vrai que l'agro alimentaire est un secteur où les marges sont toujours faibles, ce qui explique sans doute pourquoi Mr Doux n'est devenu que la 146 ème fortune française. Je ne sais ce qui va advenir de cette fortune. Ceux qui l'ont produit n'y auront, je le devine, pas droit.

Au travail 
Vie d'ouvrier 

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire